Carnaval | 2023


Exposition

Carnaval est une exposition inspirée de l’œuvre du même nom de Robert Schumann. Son recueil de pièces pour piano raconte musicalement l’avant-dernier chapitre d’un roman de Jean Paul, auteur très prisé au 19e siècle. Le chapitre met en scène un bal masqué plein de péripéties et de rebondissements. Marie H. Sirois a eu l’idée de faire revivre cette intrigue. Elle a écrit une pièce de théâtre musicale relatant l’histoire de Jean Paul et l’œuvre de Schumann et a peint une série de tableaux pour illustrer son univers scénique.

Les tableaux représentent des personnages issus de différentes périodes historiques et sont peints selon la technique artistique propre à chaque période en s’inspirant d’œuvres de peintres notoires. Il y a deux personnages pour chaque période, soit de style baroque (à la manière de Simon Vouet et de Francisco de Zurbaràn), impressionniste (Jacques Émile Blanche et Édouard Manet), symboliste (Gustav Klimt) et moderne (Pablo Picasso). Au centre du lot se trouvent jumelés en couple, un tableau illustrant la mort (gustav Klimt) et un, la naissance (Pierre Soulages).

Les œuvres étaient exposées au Centre d’Art de Frelighsburg du 8 juin au 9 juillet 2023. Un mobile de 22 masques de papier, réalisés à partir des partitions du Carnaval de Schumann, et des dessins de masques de différentes époques et cultures complétaient l’exposition. L’artiste désirais apporter avec Carnaval une réflexion identitaire : qui suis-je? Quel masque dois-je porter? Et si la vie n’était qu’un long bal masqué?

(Descendre au bas de la page pour plus d’explications et pour écouter la pièce musicale)

Place au théâtre


Walt : Un bal masqué est sans doute le thème le plus sublime que la vie puisse inventer pour imiter un jeu poétique. Pour un poète, tous les rangs sociaux et toutes les époques se valent. L’extérieur n’est qu’un habit, l’intérieur, bonheur et splendeur. Ainsi ici, où les plus anciennes modes et coutumes sont ressuscitées et se côtoient, les plus vieilles se confondant avec les plus jeunes, l’humanité, et la vie elle-même sont devenues poésie. Les ennemis et les amis forment un cercle de joie et ce cercle bouge splendidement au rythme de la musique, parce que la musique est l’affect de l’âme et cette mascarade est le théâtre du corps.


Wina : Tes observations sont elles-mêmes de la pure poésie. Pour un être de nature exaltée, l’histoire entière de l’humanité doit effectivement sembler être un long bal masqué… comme un rêve. La vie tout entière ne pourrait-elle pas être un long rêve?


Walt : Oui, le monde est ma représentation…


Wina: Et si nous revenions à chaque époque, avec ce soleil et cette terre, non pour une vie nouvelle, ou une meilleure vie, mais pour rejouer cette vie, seulement en choisissant un nouvel habit?


Walt : Comme si nous étions les acteurs d’une longue pièce de théâtre et qu’à chaque époque ou plutôt à chaque représentation nous changions de costume et de décor, mais gardions toujours le même rôle?


(Adaptation libre de Marie H. Sirois d’un extrait du roman Flegeljahre de Jean Paul)

Carnaval de Schumann


Carnaval (Scènes mignonnes sur quatre notes) Opus 9, 1834-1835

Carnaval de Schumann est sans doute l’une des œuvres du compositeur qui est la plus universellement jouée et pourtant c’est une pièce complexe et mystérieuse. Très personnelle, elle apparaît comme inséparable même du créateur. La musique et la littérature sont intrinsèquement liées dans la sphère esthétique du compositeur. Son langage musical est plein de codes et de messages cachés qui trouvent souvent leur source dans la littérature allemande. L’idée de départ du Carnaval vient après que Schumann ait fait la lecture d’un ouvrage de Jean Paul, son auteur culte. L’avant-dernier chapitre du roman « Flegeljahre » aura une grande influence sur lui. La scène se déroule à un bal masqué un soir de carnaval et c’est toute son atmosphère et ses revirements de situations qu’il tentera de traduire musicalement. En même temps, il s’identifiait lui-même aux deux protagonistes de l’histoire, Vult et Walt, des jumeaux aussi dissemblables que possible, l’un étant poète et rêveur, l’autre fougueux et acerbe. Schumann changera leurs noms pour Florestan et Eusebius. Ils deviendront les figures pseudonymes complémentaires de sa propre personnalité et se retrouveront dès lors dans toute son œuvre. 


Carnaval est composé de 22 courtes pièces pour piano, qui présentent un personnage ou une intrigue. Pantalon et Colombine, Pierrot et Arlequin vont côtoyer, entre autres, Chopin et Paganini, Ernestine (la fiancée de Schumann) et Clara (sa future épouse). Évidemment, on y rencontre aussi Florestan et Eusebius. Les personnages et les intrigues dans la pièce vont toujours en paire. 
Schumann a donné deux fois le titre Carnaval à des œuvres pour piano, une fois en français et une autre en allemand. On voit ainsi combien cette idée l’obsédait. Mais la fascination est encore plus forte qu’elle n’y parait, parce que le nombre de compositions qui se rattache à cette notion sans en porter le titre est impressionnant. On pourrait considérer les « carnavals de Schumann » comme un véritable cycle qui s’étend sur littéralement toute la vie créative du musicien. L’obsession le suit jusqu’en 1854, alors qu’il va vivre un épisode psychotique et c’est un matin de carnaval qu’il sort de chez lui en pantoufle et qu’il tente de se suicider en se jetant dans le Rhin. Il sera repêché par deux canotiers et sera interné dans un institut psychiatrique où il mourra deux ans plus tard à l’âge de 46 ans.